Coupé-décalé et « broutage », une relation de cause à effet en Côte d’Ivoire

Article : Coupé-décalé et « broutage », une relation de cause à effet en Côte d’Ivoire
Crédit:
27 mai 2015

Coupé-décalé et « broutage », une relation de cause à effet en Côte d’Ivoire

 

Lorsque les enceintes se mettent à cracher les décibels d’un air de « coupé-décalé », difficile de ne pas bouger la tête ou de faire remuer les talons au rythme des mélodies. La musique invite à se lever pour esquisser quelques pas de danse. Ceci, comme lors des soirées très arrosées, exercice favori des arnaqueurs du net appelés en Côte d’Ivoire « les brouteurs ». Entre coupé-décalé et broutage*, nul besoin de chercher à le démontrer par A+ B, il existe un lien très fort. 

DJ
Crédit : David Bartus / Pexels

Un effet « tâche d’huile »  dans les esprits… 

Début des années 2000, la Côte d’Ivoire musicale est dominée par la musique congolaise. Dans les maquis et boite de nuit, c’est sur des airs tout droit venus de Kinshasa que l’on se défit sur la piste de danse. Quelques années plus tard, après la crise militaire que connait la Côte d’Ivoire — nous sommes alors autour des années 2003 — l’on découvre un nouveau genre musical prôné par de jeunes Ivoiriens vivant pour la plupart en Europe (en France majoritairement).

 

Un passage de comète 

Dès lors, c’est toute une idéologie qui se met en place, avec ces jeunes gens qui se réclament de la Jet-set ivoirienne. Avec eux, le luxe n’est pas une option, il faut faire le boucan pour marquer les esprits. Vêtements de luxe, chaussures de marques prestigieuses, montres de grandes valeurs et bien entendu des voitures qui vont avec cette armada. Lors de certaines de leurs prestations, ils distribueront même de l’argent au public, le phénomène du « travaillement » naissait. C’était le cas de l’un des précurseurs du mouvement, appelé président Douk Saga. Il décèdera le 12 octobre 2006, après avoir souffert d’une maladie pulmonaire, selon ses proches.

S’il est vrai que le coupé-décalé a permis à la Côte d’Ivoire de se « retrouver » et de se positionner musicalement en Afrique et même au-delà, il faut admettre qu’il a aussi introduira auprès de la jeune génération, une nouvelle manière de voir les choses et de les concevoir : vivre dans le luxe par tous les moyens.

Luxe, luxure, fastlife, badlife 

L’arnaque sur internet était longtemps pratiquée en Côte d’Ivoire par des Nigérians. Avec discrétion, ils accomplissaient leurs besognes sans vraiment être inquiétés, loin du bruit tapageur des brouteurs de ces dernières années. Puis avec le temps, la relève a été passée. Agès pour certains de 18 — 20 ans voire moins, plusieurs élèves ont préféré remettre uniformes scolaires et cahiers dans le placard, pour enfiler les pantalons jeans et les tee-shirts super plaqués, code vestimentaire du mouvement. Vous les verrez circuler dans des voitures de luxe (les BMW sont leurs modèles de prédilection), que le citoyen moyen ne peut s’offrir. Dans plus de 90 % des cas, l’objectif premier d’un brouteur, c’est la quête de la popularité. Pour y arriver, tous les moyens sont bons. A chaque besoin, il existe une réponse dit-on, certains artistes coupé-décalé leur offrent cette plateforme d’expression.

Des chansons, des billets et de la gloire

Ne soyez pas du tout surpris si en écoutant un titre coupé-décalé, vous entendez des noms aux consonances aussi étranges que ridicules : « Sénateur des sous », « Landry CFA », « le Volcan d’argent », « Evrad 2 Tera », « Steve eau minérale », « Jojo arobase », « Jacky  1000 euros », « 5 étoiles garçon de luxe », « Enzo la fortune en dollars »…  Des DJ (entendez Disc Jockey, mais ici nul besoin de savoir se servir d’une table de mixage, des onomatopées sur un instrumental suffiront) se sont même faits spécialistes dans les spots*. Que retenir d’une chanson qui, de la première à la toute dernière minute, ne fait que citer des noms de personnes pour leur donner de la gloire ? La notoriété aussi existe dans ce milieu. Si un artiste d’une certaine trempe chante votre nom, cela sous-entend que vous avez misé gros, votre cote grimpera donc. Le principe : plus de broutage, plus de fric, plus de spot et donc plus de gloire…

Soirée
Crédit : Sebastian Ervi / Pexels

Sur un chemin sans retour ?

Dans cette course au gain facile, les résultats escomptés ne sont pas toujours au rendez-vous, du moins pas aussi rapidement que d’autres l’espèrent. Alors, il faut trouver d’autres moyens. L’Afrique et ses mystères aident ! Certains n’hésitent pas à vendre leur âme au diable pour recevoir de lui espèces sonnantes et trébuchantes. Après ce genre de pactes, ils se retrouvent à respecter des règles très contraignantes, comme, ne pas offrir son argent à un membre de sa famille, ne pas acheter de biens durables avec son argent…

Et demain ? 

Et lorsque la nuit tombe et que les bars et autres lieux de plaisance ouvrent grandement leurs portes, on s’en donne à cœur joie, l’alcool coule à flots, on distribue les billets de banque,  on s’arroge un instant de gloire, une gloire éphémère et on vit comme si ce jour était le dernier. Demain, ce sera peut-être la fin car pour un « brouteur-coupeur-décaleur », la vie est beaucoup trop courte pour attendre…

Broutage : Arnaque sur internet

Brouteur : Personne qui pratique le broutage

Faire un Spot : Le fait de citer le nom d’un individu dans une chanson, contre rémunération

 

 

 

Partagez

Commentaires

Benjamin Yobouet
Répondre

Beau décryptage de notre sphère musicale ivoirienne surtout en la liant avec le broutage. Pour ceux qui ne connaissaient pas ou qui ne comprenaient pas trop exactement: ils/elles sont servis ! C'est bien dommage ce nouveau style de vie qui happe de plus en plus les jeunes ivoiriens !

Aboudramane koné
Répondre

La vie facile.dans ce pays on a trop donner l exemple du mauvais exemple.gbes est mieux que dra.

M.C Agnini
Répondre

Eh oui, espérons que les plus jeunes comprendrons. Espérerons-le.

M.C Agnini
Répondre

Hélas et trois fois hélas. A trop avoir la diable pour model, on fini par devenir un de ses agents.

Maxtan
Répondre

beau texte, lecture agréable, belle analyse, Bravo

Seydou KONE
Répondre

fallait avoir des yeux de grillon pour voir cette relation de cause à effet. beau texte

Kany
Répondre

Très bel article :) :) :)

Mian Roger-Armel
Répondre

Une historique presque complète.
Bon travail.

Mathyas KOUADIO
Répondre

Belle analyse. Il faut aussi retenir que la lutte que mène le gouvernement contre le "broutage" à complètement mis les bâtons dans les roues de nos artistes coupé-décalé. Au point où, certains disent chanter pour Dieu aujourd'hui.